Des champignons hallucinogènes contre la dépression ou l'alcoolisme: mirage médical ou traitement "révolutionnaire"?

Et si ce douteux champignon trouvé en lisière de forêt s'avérait être la clé d'une révolution dans le traitement des dépressions ou des addictions? C'est le pari de la Nouvelle-Zélande, qui ouvre ce mercredi 18 juin la voie à l'usage médical - strictement contrôlé - des champignons hallucinogènes.
Dans les faits, ce pays est loin d'ouvrir la porte à une dérégulation totale. Les produits à base de psilocybine, substance présente naturellement dans certains champignons, restent là-bas des médicaments non approuvé.
"Mais un psychiatre très expérimenté a été autorisé à la prescrire à des patients souffrant de dépression qui résiste au traitement", a déclaré le vice-Premier ministre David Seymour à propos de ce changement.
Les champignons qui contiennent la molécule aujourd'hui prisée, la psilocybine, poussent dans nos contrées. En Europe et en France, une petite dizaine d'espèces ont été répertoriées. Attention, ils ne doivent pas être consommés tels quels, avec un historique d'intoxications extensif. Dans l'Hexagone, à l'exception de quelques autorisations spéciales dans le cadre d'études scientifiques, son utilisation thérapeutique est à ce jour exclue.

Mais que sait-on réellement des effets de cette molécule psychédélique? Comme le contextualise un article de l'Inserm, deux chercheurs français ont déjà passé en revue en 2021 plus d'une vingtaine d'études parues entre 1990 et 2020 portant sur les effets de plusieurs psychédéliques contre divers troubles psychiatriques. L'objet donne la couleur: "une panacée?"
"Les chercheurs concluent que ces substances constituent 'des thérapies prometteuses, d’efficacité rapide', avec des bénéfices pouvant durer 'plusieurs mois après une prise unique'".
Pourtant plusieurs limites sont listées sur ces travaux. Notamment la qualité des études prises en compte. "La plupart portaient sur une dizaine à une cinquantaine de patients alors que les travaux nécessaires à l’autorisation d’un médicament conventionnel en incluent généralement plusieurs milliers".
Par ailleurs, "les essais cliniques analysés étaient ouverts, et non en double aveugle et randomisés", précise l'institut scientifique français. Mais, depuis, de nouvelles études ont été publiées. Et leurs résultats, qui nécessitent encore d'être confirmés, paraissent tout aussi bons.
Deux essais cliniques sont actuellement en cours en France. Une étude porte sur "la dépression résistante" est dirigée par le Centre de recherche clinique du GHU Paris. L'autre, menée au CHU de Nîmes, vise à déterminer si la prise de cette molécule peut permettre d'aider les personnes atteintes d'alcoolisme.
"L'un des aspects majeurs est que ces effets thérapeutiques apparaissent tout de suite après la prise, ils sont immédiats et durent dans le temps, contrairement aux antidépresseurs qu'il faut prendre chaque jours et dont on observe l'efficacité au bout de plusieurs semaines", explique à BFMTV.com Lucie Berkovitch psychiatre et directrice de l'étude française sur les effets de la molécule sur la dépression résistante.
En clair, en une seule prise, une personne ayant pourtant souffert d'une dépression n'ayant pas répondu aux traitements conventionnels montrerait une progression significative. Et ce n'est pas une hallucination.
"Il s'agit ici d'une administration de ces psychédéliques en milieu hospitalier sous contrôle médical, après qu'il y ait eu une préparation en psychothérapie. Et, le lendemain, il y a une séance d'intégration, où le patient fait part de son expérience" et de ses hallucinations, schématise Mickaël Naasila, directeur de recherche à l'Inserm.
"Il faut garder à l'esprit qu'il s'agit d'un traitement supervisé, dans un milieu médical, associé à de la psychothérapie", insiste-t-il.
Après le traitement, les résultats sont "révolutionnaires" ou "miraculeux" selon les experts interrogés et impliqués dans ces enquêtes, qui s'accordent sur les aspects particulièrement prometteurs en apparence de ces traitements.
La psilocybine se fixe sur nos récepteurs à la sérotonine, la fameuse "hormone du bonheur". "La molécule agit sur les récepteurs à la sérotonine, qu'on appelle les récepteurs 5HT2A. L'activation de ces récepteurs va entraîner tout un ensemble d'effets au niveau cérébral, la modification de l'activité dans certaines régions", explique Lucie Berkovitch.
De son côté, le directeur de recherche de l'Inserm décrit une "reconfiguration du cerveau" alors que "l'expérience mystique (les hallucinations, NDLR) vient ouvrir l'esprit" des personnes souffrant de ces troubles.
Si ces effets sont prometteurs, porteurs d'attentes fortes, les études actuellement en cours doivent confirmer le caractère "tout à fait inhabituel" de ces actions, comme l'explique la chercheuse parisienne. "Nous voulons comprendre de quoi est faite cette réponse, presque miraculeuse (...) on ne peut pas dire qu'on se méfie mais il est important d'en comprendre les tenants et les aboutissants".
Des travaux dont les résultats auraient pu être connus un peu plus tôt si l'histoire de la politique américaine n'avait pas, il y a plusieurs décennies déjà, percuté celle de la recherche scientifique. En pleine effervescence dans les années 50 à 60, la recherche sur les psychédéliques s'est stoppée net aux États-Unis dans le monde sous l'effet de la "Guerre contre la drogue" ou "War on drugs" menée par l'administration du président Richard Nixon.
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